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Les entreprises américaines et l’échec du marketing engagé

Crédits photographie : Visuel libre de droit

La polarisation croissante de la société américaine crée des défis pour les marques qui cherchent à s’engager politiquement, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour leur réputation et leurs résultats financiers, comme l’illustre l’exemple de Bud Light.

Bien que l’arrivée de l’été coïncide avec le pic de consommation de bière, il y aura certainement moins de Bud Light consommées aux États-Unis. Bud Light est l’une des nombreuses marques d’AB InBev, le plus grand brasseur mondial (Budweiser, Stella, Corona), réalisant un chiffre d’affaires proche de 60 milliards de dollars et comptant plus de 160 000 employés.

 

Le plus grand brasseur mondial sous pression

Début avril, le groupe a offert à Dylan Mulvaney (une femme transgenre ayant commenté abondamment sa transition de genre sur les réseaux sociaux et comptant plus de 10,8 millions d’abonnés sur Tiktok et 1,8 million sur Instagram) une bière Bud Light à son effigie afin de célébrer sa première année en tant que femme. Depuis, les volumes de Bud Light se sont effondrés de -25 % (contre une baisse de -2 % pour l’industrie), et le groupe a perdu 20 milliards d’euros de capitalisation boursière (soit 20 % de sa valeur en bourse).

Le mois de juin (désormais rebaptisé mois des fiertés) voit un grand nombre d’entreprises afficher leur soutien à la communauté LGBT, allant même jusqu’à changer la couleur de leur logo, un exercice qui peut se révéler périlleux pour certaines d’entre elles.

Le plus tragique dans cette histoire pour AB InBev est que la marque était déjà en perte de vitesse : en 2022, la consommation de bière aux États-Unis a baissé de -2,7 % (selon IWSR) contre -4 % pour AB InBev qui, pour redresser la barre, a souhaité élargir sa clientèle en s’adressant aux millenials et à la communauté LGBT. Après tout, l’objectif d’une marque n’est-il pas d’attirer le plus grand nombre de consommateurs possible ? Mais cette campagne marketing d’un genre nouveau n’a fait qu’accélérer le déclin des ventes.

 

AB InBev n’est pas la seule entreprise à avoir subi un boycott aux États-Unis.

On compte également Disney pour avoir affiché son opposition au projet de loi « Don’t say gay » du gouverneur républicain de Floride Ron DeSantis, entrée en vigueur le 1er juillet dernier (il est désormais interdit d’enseigner des sujets en lien avec l’orientation sexuelle ou l’identité de genre).

Sans oublier le distributeur américain Target, dont les magasins ont été vandalisés après la révélation d’une collection de costumes de bain « tuck friendly » (qui cachent les parties génitales) pour les personnes trans.

 

Les risques d’une stratégie marketing engagée et non assumée

Target s’est empressé de retirer les articles pour « ne pas mettre ses employés en difficulté », tandis que les dirigeants d’AB InBev ont prononcé des formules creuses telles que : « nous n’avons jamais eu l’intention d’entrer dans un débat qui divise les gens, nous sommes dans un business qui vise à les rassembler autour d’une bière. »

En revanche, une entreprise comme Disney assume clairement sa démarche. De même, Nike (ayant subi un boycott pour avoir sollicité Mulvaney vantant les mérites d’un soutien-gorge de sport) provoque régulièrement et de manière délibérée, s’aliénant un certain nombre de consommateurs mais en gagnant d’autres.

Deux conditions sont nécessaires pour que le capitalisme rose (« rainbow capitalism ») fonctionne :

L’entreprise doit vendre un produit unique

L’industrie du divertissement/spectacle en est un parfait exemple dont les produits sont plus difficiles à boycotter.

En effet, rien de plus facile pour un consommateur de choisir une autre marque de bière ou un autre supermarché pour aller faire ses courses, d’autant plus que le faible niveau des marges de la distribution empêche ces entreprises d’assumer une longue campagne de boycott.

La communication doit être claire et consistante

Lorsque les marques font du rétropédalage, elles donnent l’impression d’avoir voulu profiter d’un effet d’aubaine et paraissent donc hypocrites.

 

La société américaine est polarisée comme jamais

Dans le cas d’AB InBev, le brasseur est perdant sur les deux tableaux, car il ne satisfait personne.

Tout d’abord, les associations LBGT pointent le manque de solidarité de l’entreprise avec Dylan Mulvaney qui a expliqué jeudi 29 juin dans une vidéo TikTok qu’AB InBev n’était pas entré en contact avec elle depuis le début de la polémique.

De plus, le brasseur a fait preuve d’une réelle méconnaissance de ses clients qui sont principalement des hommes vivant dans des zones rurales, dans les États les plus conservateurs du pays (Red States). On peut donc légitimement penser que si le consommateur d’une Bud Light est un Texan amateur de barbecue, il sera a priori peu réceptif aux discours ayant trait à l’identité de genre. Et même s’il se trouve un amateur de Bud Light prêt à acheter la marque, il voudra sans doute éviter des problèmes de voisinage en étant perçu comme soutenant les idées progressistes sur les droits des trans. Ainsi, une récente étude GLAAD Ipsos indique que pour 25 % des Américains (55 % dans le camp républicain), le soutien d’une marque à la communauté LGBT impacterait négativement leur intention d’achat.

La société américaine est polarisée comme jamais sur ces sujets, et les hommes politiques cherchent à tirer les marrons du feu. Le gouverneur républicain Ron DeSantis (présenté comme le rival de Trump) est parti en croisade contre le wokisme, s’en prenant régulièrement aux sociétés woke Disney, Bud Light et Target. Un signe que la guerre culturelle va dominer la présidentielle américaine de 2024. Qu’il paraît loin le temps où le consommateur achetait un produit sans arrière-pensée politique.

Pour certaines entreprises, l’apprentissage sera long. Certaines ont appris à leurs dépens qu’un avenir woke n’est pas toujours rose.

Vous pouvez également retrouver cet article sur le site de Contrepoints: 

https://www.contrepoints.org/2023/07/09/459292-les-entreprises-americaines-et-lechec-du-marketing-engage