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Le grand saigneur

Crédits photographie : Visuel libre de droit

« Le grand saigneur » : une satire politique qui égratigne Jupiter

Une pièce de théâtre qui traite de l’actualité, ce n’est pas classique dans l’offre littéraire actuelle. Il faut dire que le format ne s’y prête pas : à l’instar des nouvelles, ce genre n’est guère plébiscité par le grand public et les maisons qui prennent le risque de l’éditer se comptent sur les doigts de la main. Il faut donc reconnaître ce mérite à Jean-David Haddad, le patron de JDH Éditions, d’avoir osé publier ce pamphlet écrit par les auteurs Sébastien Bérard et Marianne Serfa, dont on se demande bien s’il s’agit là de leurs véritables noms ou de noms d’emprunt… Tout le monde aura en revanche reconnu le principal protagoniste de la pièce, Jupiter.

La première scène donne le ton : le roi des dieux monologue sur lui-même devant un miroir de la galerie des Glaces, s’auto-congratule et s’imagine déjà posthume aux côtés des plus grands hommes de l’Histoire de France… Avant que n’arrive un serviteur qui ne l’entend pas de cette oreille et vilipende l’impudence de « Messeigneurs », son arrogance et son mépris envers le petit peuple.

Cela fait évidemment écho à l’actualité sociale de ces dernières semaines qui a vu les Français investir massivement les rues pour défendre les régimes de retraite, y compris spéciaux. Selon les auteurs, le comportement suffisant du président vis-à-vis des catégories sociales les plus fragiles du pays, et son absence de compréhension et d’empathie pour ceux qui n’ont « même pas fait l’ENA », sont parmi les principales raisons du mécontentement populaire. Nous pensons alors à la célèbre citation d’Alexis de Tocqueville : « Il ne faut pas mépriser l’homme si l’on veut obtenir des autres et de soi de grands efforts ».

Mais outre le caractère de Jupiter, les critiques des auteurs se concentrent sur ceux qui l’entourent et qui sont tous, à l’exception d’Atlas (représentant le bon sens de l’ancien monde) et des serviteurs, dépeints comme d’affreux benêts novices qui ne maîtrisent même pas les ficelles les plus élémentaires de la politique. La palme revient sûrement au ministre de l’Intérieur dont Jupiter s’interroge lui-même comment il a pu prendre la décision de le nommer à un tel poste (« La flatterie, un moment de faiblesse », avoue-t-il). L’inénarrable Benallu, que chacun aura également reconnu, est lui aussi bien présent, et passe son temps à faire des pompes et à jouer avec ses flingues. Brigitte, renommée Hildegarde (elle aussi entend des voix…), n’est pas non plus épargnée, croquée en féministe hystérique qui mène l’inquisition des temps modernes. Son discours anti-masculinité, dans le prolongement des mouvements #balancetonporc et #metoo, est un morceau de bravoure.

Car la forme n’a rien à envier au fond : la pièce est extrêmement bien écrite avec des auteurs qui n’hésitent pas à utiliser des mots de vieil argot à la Audiard pour les opposer à la nouvelle langue franglaise de l’élite venant d’Amérique et qui fait un crochet par Bruxelles avant d’arriver jusqu’à nous. Le rythme est enlevé et la chute époustouflante (avec l’apparition d’un Depardieu en forme olympique). On ressort de cette pièce avec un large sourire aux lèvres et c’est là l’essentiel au final : dans le climat social actuel, ce genre de livre constitue une bouffée d’oxygène. La satire politique, genre littéraire français à part entière, n’a donc pas dit son dernier mot et c’est heureux car on se rend bien compte, à la fin de la lecture du Grand saigneur, des vertus thérapeutiques de l’humour et de l’ironie.ffff