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Inflation: "préparez-vous, la crise n’en est qu’à ses débuts".

Crédits photographie : Visuel libre de droit

L’interview de Sébastien Thiboumery sur les conséquences de la crise.

Le Journal Apartés : Il y a trois ans, vous avez publié le « roman financier » Money Game (JDH éditions) qui fait découvrir au lecteur le monde de la finance et des gérants de fonds. A la fin du roman, vous envisagiez une crise financière qui débutait suite à une guerre, suivie d’une envolée des prix du pétrole. Est-ce que la crise actuelle a des similitudes avec celle de votre roman ?

Sébastien T: La guerre décrite dans Money Game confronte l'Iran et l'Arabie Saoudite après que le Yémen a réussi à détruire des infrastructures pétrolières en Arabie Saoudite. La conséquence est une forte hausse des prix du pétrole provoquant un retour de l'inflation, ce qui contraint les banques centrales à réagir en augmentant fortement leurs taux directeurs. Il s’ensuit un effondrement des bourses et du système financier en raison du poids de la dette accumulée. Comme vous pouvez le constater, il y a de fortes similitudes avec la crise que nous vivons en ce moment, qui n’en est encore qu’à ses prémices. Ainsi, le système qui a prévalu depuis plus d’une décennie n’est plus viable (consistant à ajouter de la dette en disant que ce n’était plus un problème). Il aura suffi d’une étincelle (comme le déclenchement d’une guerre) pour relancer l’inflation (via la hausse des matières premières) et forcer les banques centrales à mettre fin à leurs politiques accommodantes et à finalement provoquer la crise qu’elles avaient tout fait pour retarder le plus possible.

L’environnement est-il toujours aussi favorable aux actions ?

On se rappelle qu’à la moindre faiblesse du marché, le mot d’ordre était « buy the dip », car l’investisseur savait que les banques centrales étaient les acheteurs de dernier recours. Mais elles cherchent désormais à réduire leurs bilans, ce qui constitue un changement de paradigme pour l’investisseur, qui n’a jamais été aussi négatif (et notamment les investisseurs particuliers aux États-Unis). La moindre hausse du marché est donc une occasion de vendre, en vue de la récession qui se profile. Le mot d’ordre est désormais « sell the rally ». 

La récession est-elle inévitable ?

Oui. Plusieurs indicateurs annonciateurs de récession sont apparus il y a déjà plusieurs mois. Il ne faut pas se fier au discours des banques centrales qui, comme les économistes, ne prévoient pas les récessions. Du reste, elles n’ont pas vu venir l’inflation qui était encore il y a quelques mois « temporaire » (8,6 % en mai aux États-Unis !), ce qui entache très sérieusement leur crédibilité. Elles ont fait le choix de lutter contre l’inflation au prix d’une récession en espérant que le choc de demande (à savoir la baisse de la consommation) provoque une baisse de l’inflation. Plusieurs matières premières comme l’acier, le coton et même le pétrole ont fortement corrigé depuis plusieurs semaines, ce qui confirme que l’économie mondiale est entrée en récession. L’Europe risque d’être plus durement touchée que les États-Unis en raison des difficultés d’approvisionnement énergétique.

Les performances des entreprises vont donc être sous pression ?

Indéniablement. Les entreprises ont vécu un âge d’or avec la mondialisation qui a aidé leurs marges avec la désinflation importée de Chine. Désormais, nous vivons la démondialisation et des problèmes géopolitiques, un environnement de coûts inflationnistes, une économie de pénurie (matières premières, énergie…), la fin de l’argent gratuit et des coûts plus élevés du capital, sans oublier une hausse de la fiscalité.

La récession n’est-elle pas déjà prise en compte dans le cours des actions ?

Les principaux indices sont en baisse de plus de 20% depuis le début de l’année. On pourrait donc penser que le pire est derrière nous. L’une des explications de la baisse est la hausse des taux qui met les multiples de valorisation sous pression. Nous sommes en train d’assister à un « repricing », c’est-à-dire un réajustement de la valeur des actifs en fonction des nouveaux paramètres de taux et de croissance. Toutes les bulles qui avaient été créées par « l’argent gratuit » sont en train d’éclater les unes après les autres (bitcoin, SPACs, entreprises tech non profitables), ce qui est plus sain. Mais la révision à la baisse des bénéfices des entreprises pourrait contribuer à une baisse supplémentaire du marché. Il ne faut pas oublier que la performance du marché actions est tirée par : 1) la baisse des taux d’intérêt qui soutient la valorisation ; 2) la croissance des profits. Or ces deux moteurs sont en train de caler.

Dans Money Game, vous évoquez également un autre risque, qui est l’éclatement de la zone euro ?

Nous allons assister dans les prochaines années à une désagrégation de la zone euro. Ces tensions se reflètent déjà dans l'écart de taux entre les emprunts d’état allemands et italiens qui se sont écartés fortement. Une crise économique s'annonce en Italie et on voit mal comment leur tissu productif pourra s'en sortir sans recourir au protectionnisme ou sortir de l'euro. C'est cette deuxième issue qui est envisagée dans Money Game.

Money Game : https://www.amazon.fr/Money-Game-lunivers-impitoyable-boursiers/dp/B07NRTDT9Z