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De Barbieland à Wall Street : la dangereuse illusion des investisseurs

Crédits photographie : Visuel libre de droit

Face à une réalité déplaisante, à savoir la possibilité d’un monde boursier surévalué, les investisseurs préfèrent fermer les yeux.

Le film Barbie a connu un large succès, dépassant le milliard de dollars de recettes au box office. Dans le film de Greta Gerwig, toutes les Barbie vivent heureuses à Barbieland, un pays idyllique. Un jour, Barbie est assaillie de pensées inhabituelles mortifères et découvre avec horreur que ses pieds cambrés sont devenus plats. Elle doit alors quitter sa vie parfaite à Barbieland pour aller dans le vrai monde où elle découvre une réalité complexe.

Comme Barbie, les investisseurs vivent dans un monde idyllique.

Certes, ils eurent des pensées mortifères en 2020, lors du violent décrochage des marchés. De même, leurs pieds touchèrent le sol en 2022 avec la baisse du Nasdaq. Mais si Barbie cherche avant tout à connaître la vérité (allant jusqu’à consulter un gynécologue, provoquant une prise de conscience chez elle) les investisseurs, eux, ne se posent toujours pas de questions.

Pourtant, ils devraient.

Dans une note de recherche récente, les stratégistes de JP Morgan estiment le rendement du S&P 500 à 3,7 % (rachat d’actions de 2,1 % et dividende de 1,6 %), ce qui est inférieur à la moyenne sur dix ans (4,5 %) et au taux monétaire à 5,3 %.

En d’autres termes, l’investisseur gagne davantage en plaçant son argent sans risque dans des sicav monétaires (d’où l’engouement récent pour ce type de placement).

Rappelons ainsi que la valeur d’une action dépend du niveau des taux d’intérêt (servant à actualiser les flux de trésorerie futurs d’une entreprise).

Ainsi, plus le taux d’actualisation est élevé, moins les bénéfices futurs sont valorisés. Le taux d’intérêt à dix ans aux États-Unis (T-bond) s’établit aux alentours de 4,2 %. Toute chose étant égale par ailleurs, chaque hausse des taux de +100 bps impacte négativement (en théorie) la valorisation de -24 %. Or, la hausse des taux fulgurante de +400 bps n’a entraîné qu’une baisse de valorisation d’environ -15 % du S&P 500 sur la même période. C’est pourquoi les stratégistes de JP Morgan estiment la valorisation de l’indice à un PER (Price Earnings Ratio : rapport cours/bénéfices) de 15 fois contre 20 fois actuellement, soit une baisse de -25 %.

Mais au-delà du débat sur la valorisation du marché, se pose la question de la soutenabilité du niveau du taux d’intérêt nominal.

Or, les attentes d’inflation (environ 2,3 % avec un TIPS à 1,9 %) paraissent trop basses au vu des éléments structurels militant pour une hausse durable, à savoir la hausse des coûts de production liée aux relocalisations, les hausses de salaires, les coûts liés à la transition énergétique. En effet, si le taux d’inflation se révèle plus élevé que prévu (disons 4 %), la correction de cette sous-estimation conduira à une hausse du taux nominal, et la performance des portefeuilles pourrait être sérieusement impactée.

Mais cette hypothèse n’est pas prise en compte par les investisseurs.

Comme Barbie, ils sont placés devant un choix : des talons hauts et rester dans le monde fictif, ou des Birkenstock et découvrir le monde réel. Il semble qu’ils préfèrent continuer de vivre dans un monde artificiel fait de rose et de paillettes.

Cet article est également disponible sur Contrepoints: https://www.contrepoints.org/2023/09/23/464188-de-barbieland-a-wall-street-la-dangereuse-illusion-des-investisseurs