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Port culturel du voile

Crédits photographie : Visuel libre de droit

Les conséquences juridiques du port « culturel » du voile

Les dernières semaines ont vu resurgir un vif débat sur la question de l'Islam en France. Sur fond de l'attentat terroriste à la Préfecture de Police de Paris, un élu a provoqué un incident de séance au Conseil Régional de Bourgogne en interpellant la Présidente quant à la présence dans l'hémicycle d'une mère voilée accompagnant des écoliers venus assister à la séance du jour.

Chacun apporta sa pierre plus ou moins pertinente et plus ou moins intelligente à l'édifice du prétoire médiatique. Une de ces interventions doit retenir particulièrement notre attention : plusieurs intervenants, se présentant comme de culture ou de confession musulmanes, signèrent une tribune dans Marianne intitulée "Le voile est sexiste et obscurantiste", visant à répondre à une autre tribune, publiée elle dans Le Monde, "Jusqu'où laisserons-nous passer la haine des musulmans ?". Alors même que l'excès d'admiration que suscita cette tribune n'eut d'égal que l'excès d'opprobre qu'elle déclencha, la thèse défendue mérite de s'extraire du culte de l'émotion médiatique pour produire une véritable critique analytique des champs qu'elle ouvre.

Les auteurs de cette tribune signent le fait que le voile est un "réflexe plus identitaire que religieux" et explicitent par-delà que le port du voile relève d'une démarche culturelle et non d'une pratique religieuse. Se voulant porte-paroles d'une vision progressiste de l'Islam, il convient de s'interroger sur les véritables incidences d'une telle lecture au regard du droit positif, hors de toute prise de position partisane.

Affranchir le port du voile d'une pratique religieuse, c'est exclure cette pratique du champ d'application de la loi de 1905 sur la laïcité. Au-delà de la discussion relative au fait médiatique ayant fait naître cette tribune, il convient réellement d'alerter sur une telle qualification. La loi de 1905 abrogeant le Concordat napoléonien de 1801 n'est que la transposition républicaine du décret du 21 février 1795 de la Convention, statuant au vu du rapport du Comité de Salut Public promu par le député de Boissy d'Anglas. L'essence même de cette loi de tradition révolutionnaire est de consacrer la séparation de l'Eglise et de l'Etat par la proclamation de la laïcité de l'Etat.
La laïcité est donc une notion de droit public. L'Etat dans toutes ses déclinaisons est laïc alors même que la société ne l'est pas. L'Etat laïc n'empreinte les codes d'aucune religion, ses agents n'expriment aucune allégeance spirituelle. Or proclamer cette neutralité nécessite précisément d'identifier ce qui n'est pas neutre religieusement. Définir le voile comme un élément culturel conduit, au sens de la loi, à l'exclure des éléments religieux prohibés par le principe de neutralité.

De la polémique-source, l'analyse légaliste ne souffre d'aucun débat : cette femme n'agissait pas en qualité d'agent public, les libertés publiques de notre droit positif ne s'opposaient pas à sa présence ainsi vêtue au sein de cette institution.

Mais les exégèses de ce débat et notamment de ladite tribune font planer une autre problématique.

Réduire le champ du religieux au profit de l'accroissement du domaine culturel, c'est restreindre le champ d'application de la loi de 1905. Et par-delà, restreindre l'expression de la laïcité de l'Etat. Les pourfendeurs du port du voile dans l'espace public trouveront volontiers dans la lecture des Cahiers de Prison d'Antonio Gramsci, l'inspiration intellectuelle à leur juste combat : celui de la bataille culturelle. Invitons-les à porter la tradition millénaire de notre pays, sa société des Lettres, son héritage culturel...Mais de grâce, qu'ils s'abstiennent de toute qualification hasardeuse recevable juridiquement !

S'il n'est pas question de remettre en cause l'intégrité intellectuelle des signataires de cette tribune, nous devons les alerter sur leur rôle de possible pompier-pyromane des thèses qu'ils combattent.